PARLONS DE VOTRE PROJET
Photographier le syndrome de Rett – Gastrostomie
Ce jour là, Eléanore commençait sa journée en perdant sa première dent. C’était une journée qui commençait normalement, avec une petite joie du quotidien. Benjamin était venu me voir discrètement dans la cuisine, alors que je rangeais soigneusement la première dent d’Eléanore, le sourire aux lèvres, pour me demander ce que nous pourrions lui offrir comme “cadeau de la petite souris”. Nous verrons ça plus tard, il est l’heure d’aller à l’école.
L’école, qui justement m’appelle, sur l’heure du midi je crois, pour me signaler qu’Eléanore n’est pas très en forme et qu’ils souhaiteraient que je vienne. Cette semaine là, Eléanore avait comme des petits tremblements, assez régulièrement, elle ne marchait pas beaucoup et s’asseyait dès qu’elle en avait l’occasion, elle était également très pale… Je ne veux pas attendre qu’il se passe quoi que ce soit alors j’appelle ses médecins et demande un rdv en urgence. Ce que nous appréhendions se précise : le corps d’Eléanore a atteint les limites de sa dénutrition. Elle doit être hospitalisée pour reprendre des forces et une gastrostomie lui sera posée quelques jours après.
Une gastrostomie, c’est un petit trou que l’on fait au niveau de l’estomac où l’on pose un “bouton” auquel sera relié un tube afin de l’alimenter. Petit à petit, le polyhandicap s’installe vraiment chez nous… On ne peut pas fermer les yeux, faire comme si… Ca a commencé par la poussette adaptée, la chaise haute adaptée et maintenant c’est carrément sur ma fille qu’on pose des adaptateurs !
Photographier le quotidien à l’hôpital
Forcément, je savais que j’aurais besoin de mon appareil photo pour exprimer notre quotidien à l’hôpital, comme j’avais déjà pu le faire précédemment. Nous sommes restés huit jours là bas et c’était une étape importante pour nous tous alors je souhaitais en garder un souvenir. Ca peut paraitre bizarre de vouloir photographier des moments qui ne respirent pas la joie de vivre mais moi ce que j’aime c’est photographier la vie telle qu’elle est (dédicace à ma consoeur Caroline Liabot ;-)) et raconter le moment vécu. Alors pourquoi pas celui là ? C’est MON quotidien en plus, avec ma vision, mon regard, ma sensibilité, mes émotions…
C’est donc parfaitement égoïstement que j’ai photographié ce séjour à l’hôpital avec Eléanore, entourée de Denis et Benjamin. Je prenais des photos quand je voulais, sans me soucier de ce que pouvait penser le personnel médical, même si à certains moments j’ai hésité. Mais parfois, je me faisais surprendre par des médecins qui avaient des remarques plutôt positives envers ma démarche. C’est par la suite que j’ai compris que photographier le syndrome de Rett, à travers ma fille, avait pour but de sensibiliser au handicap, dans un premier temps.
Photographier les émotions des autres
Je sais très bien que ce que j’aime dans mon métier, c’est photographier les émotions des autres. Voir et leur montrer qu’ils sont vivants et beaux à travers leurs émotions. Que chacune d’entre elles a une signification… Mais avec cette expérience, j’ai réalisé que ça allait bien plus loin. Ces dernières semaines, avant de faire cet article, j’ai montré quelques photos sur les réseaux sociaux et certains contacts m’ont fait prendre conscience qu’Eléanore avait la chance de pouvoir s’exprimer à travers mes photos. Selon eux, j’avais le pouvoir de retranscrire ce qu’elle ne peut pas dire avec des mots… Moi qui pensait faire ces photos égoïstement ! Mon dieu, je réalise que mes photos peuvent l’aider à s’exprimer elle-même, qu’elles peuvent être un support pour raconter son histoire… Mais oui, voilà, c’est ça, je suis l’interprète de ses émotions ainsi que de tous ceux que je photographie.
Voilà pourquoi j’aime apprendre à connaitre les gens, voilà pourquoi la photographie va au delà du souvenir… Voilà, aujourd’hui, je me déclare photographe interprète (attention, je vais le déposer à l’INPI !). J’interprète les émotions que je vois et ressens avec ma personnalité et ma sensibilité.
Alors j’ai fais un album pour Eléanore, pour qu’elle puisse l’emmener à l’école et chez ses spécialistes et où ensemble on racontera ce qu’il s’est passé. Mais cet album ne servira pas seulement à Eléanore. Mon mari, mon fils et moi-même en avons besoin aussi pour exprimer nos propres émotions dans cette situation vécue, même si nous, nous avons les mots, les photos seront un support à l’histoire.
Ne pas avoir peur
Les émotions, ça fait flipper. Je le sais parfaitement puisque pendant très longtemps, je les ai presque toutes coupées pour ne plus rien ressentir (je vous explique pas le bordel en moi !) mais les émotions c’est ce qui nous permet de nous sentir vivant ! C’est la vie ! Se couper de ses émotions, c’est vouloir mourir. Les exprimer, c’est vivre.
Je souhaite sincèrement photographier d’autres quotidiens, même difficiles, pour faire se sentir vivants toutes ces familles qui pensent que tout ça ne sert à rien, que ça ne vaut pas la peine, qu’ils ne se passent rien de beau chez eux… C’est totalement faux. La vie est partout et le beau aussi. N’ayons pas peur de nous.